Skip to main content

1994

Lycée international

FRANCAIS
Ce face-à-face interdit entre l’artiste et le modèle se révèle un terrain aussi vierge que glissant. Giorda en fait une dernière fois l’expérience en 1995, avec la commande qui lui est passée par le tout nouveau lycée international de Lyon, dans le cadre du 1. Ayant décidé de « décorer » le long couloir central de cette grande vague de béton brut – couloir qui sert à la fois de carrefour et de forum aux élèves comme aux professeurs -, il prend le parti d’aligner en hauteur, sur une ligne, une succession de portraits. Portraits d’enfants, mais aussi d’adultes et de vieillards, non pas peints mais dessinés au fusain, sur un fond éclaboussé de peinture.
Giorda dessinait déjà depuis longtemps, dans des noirceurs du crayon qui cherchent les phosphorescences, avec une urgence que même l’acrylique n’est pas capable de suivre. Revenant de Dresde, en 1992, il s’était jeté sur une série de dessins hallucinés, opposant le Frauenkirche sous les bombes, l’Elbe en feu, au visage d’une mère – la sienne – et d’un enfant. Inoubliable reportage intime. Ici, au lycée international, les visages se ressentent encore de cette guerre des nerfs. Ils jaillissent en gros plan, souvent interdits, ou résignés. Des constats d’Auschwitz ont dit certains.
Il est vrai que les traits, lacérés à vif par le fusain sur le blanc du papier, comme auréolés par la couleur qui les entoure, ont cette blanche illumination des âmes mortes. Les regards, comme chez les prisonniers, sont accusateurs. Les enfants sont des vieillards, et les vieillards des enfants. Tous sont des solitudes mises bout à bout. L’insupportable en peinture est de se reconnaître dans le regard d’autrui. La réaction ne se fait pas attendre. Les professeurs crient. On parle de décrocher, d’enlever, de jeter au feu. Giorda, écoeuré et surpris par la violence de l’assaut, suggère de faire peindre les cadres. Et tout rentre dans l’ordre. La couleur divertit le monde, à défaut de le sauver.
EMMANUEL DAYDÉ

1994

Frères humains, hommage à Van Gogh

Retour à la page Peinture